Ne jetez pas vos vieux on vous les rachète

Ne jetez pas vos vieux, on vous les rachète

 

 

 

Mes années semblent passer de plus en plus vite, mais mes obsessions restent, prennent plus de place et ont envahis les tiroirs, les cartons, le grenier, malgré les tris et les rangements plus ou moins courageux. J’ai parfois la sensation d’avoir vécu plusieurs vies et je retrouve beaucoup de ces instants dans mon fouillis. Je décide de recycler les objets, les idées, les pensées… les photos.

 

 

 

Et puis il y a les histoires de famille, le passé glorieux de certains, mais aussi et surtout d’autres aspects plus anodins de la vie de mes ancêtres qui m’imprègnent de manière inattendue. Les origines, les lieus de vie et mon imagination qui embellit, démultiplie les évènements. Pour beaucoup d’entre eux, je ne connais que le visage en noir et blanc, peut-être une anecdote ou deux, mais je sais que leurs photographies ont aussi participées à influencer mon travail.

 

 

 

Et il y a les sorties avec ma grand-mère… Que ce soit la gaité aguichante des roms sur le marché Kalenic ou le papier peint bruni et centenaire chez ses amis aristocrates. Les yeux violets de tetka Zora, les volutes de fumée de la cigarette de tetka Ivanka Deroko. Mais aussi le crochet de tetka Dana, les tasses rouges à pois blancs qu’elle nous avait offert à ma sœur, Ivana et moi, petit trésor de l’enfance retrouvé chaque année dans un des immenses placards laqués blanc et jaunis de la cuisine de mes grands-parents maternelles. Le parfum des poivrons grillés, l’odeur du charbon de bois, l’enduit des vieilles maisons de Beograd qui craquèlent, les fresques des églises orthodoxes, le chant et les gestes du pope,  l’encens qu’il secoue devant ses fidèles et la beauté mystérieuse des icones. Toute une autre vie que celle menée ici.

 

 

 

L’argentique, une fois remplacé par le numérique, a vite disparu, mais les thèmes roms sont restés. Je me disais à chaque fois que c’était la dernière. Il y a presque quarante ans maintenant. Les clichés des téléphones intelligents ont évincé les photos noires et blanches, recomposées et colorisées au pinceau, puis suspendues sur les murs des maisons paysannes et roms. J’ai pris le relais. Ou j’ai proposé à d’autres d’intervenir sur mes photos. Pour recycler les merveilles de mon grenier. Par curiosité et envie de partager… Du dessin, de la peinture, de la broderie, chacun dans ses rêves, avec autre chose qu’une toile blanche pour inspiration initiale… L’appropriation de mes images par leur imaginaire. Leur univers se confondant au mien le temps d’une œuvre.

 

 

 

Et maintenant je reviens aux miennes avec mes inspirations et mes obsessions. Tellement frappée et admirative des textiles brodés ou tissés des Balkans. Le génie de la couleur, les formes, les assemblages.

 

Tant de musées ethnographiques visités, de marchés parcourus, de maisons paysannes photographiées et ce gentil marchand brocanteur, du quartier de Skadarlija, intarissable, qui m’apprend et m’ouvre son monde.

 

Que d’émotions ressenties devant les superbes fresques des églises orthodoxes représentant Saint Georges ou Saint Michel, super héros du moyen âge.

 

 

 

Mon grand père maternel est né à Pirot, berceau du kilim traditionnel de Serbie et au-delà.

 

Le mouton ne connaît pas les frontières, l’artisanat non plus. Je connaissais les couleurs et les formes, mais je réalise maintenant qu’elles ont aussi une signification symbolique qui me passionne, même si je prends du temps pour l’approfondir. Je suis lente, contemplative. Je n’ai pas envie de tout comprendre tout de suite. Je me réserve pour plus tard. Je savoure. J’imagine des choses qui n’existent peut-être pas. Je ne me perds pas dans la recherche faite par les autres. J’apprends, bien sûr, mais j’aime aussi découvrir à mon rythme. M’imprégner. Et laisser en découler ce qui doit se concrétiser sous une autre forme. Souvent un mélange de médias. Toujours le recyclage des peintures et des pigments récupérés sur les chantiers, les fils à broder ou les rubans ramener de mes voyages.

 

 

 

 

 

Marina Obradovic

 

 

 

 

 

 

La solitude est mon abri :

 

 

 

Commencé lors du premier confinement, en avril 2020 avec des fils à broder trouvés en Roumanie. Je me moque des réseaux sociaux, sans doute parce que cela m’effraie de voir combien ils ont pris de place et d’importance dans notre société. L’œil de Moscou de la place publique. Moraliste. Je n’aime pas ce que cela provoque ou bien révèle. L’égo qui pousse à se mettre en scène. La bêtise qui se croit obligée d’avoir une opinion sur tout et le révélateur de la haine. L’impudeur des sentiments. Sans peurs et pleins de reproches. J’essaye d’en rire et ne peux pas m’empêcher de juger.

 

J’ai pensé que ce rom photographié dans les rues de Sibiu n’avait pas de téléphone et sûrement pas d’adresse.

 

La plupart des personnes que je photographiais n’avaient pas de connexion internet et sans doute que j’aimais, égoïstement, qu’ils demeurent ainsi. Des gens avec des secrets, avec une vie privée bien à eux. Finalement avec un mystère lambda, une relation à découvrir avec le temps qu’il fallait.

 

 

 

Marina Obradovic

 

 

 

Technique mixte Photo, acrylique et pigments, fils à broder

 

 

 

 Marius:

 

 

 

« Mon accordéon a deux copains qui me mangent la moelle

 

Amour et soif ils s’appellent, et m’accompagnent moi musicien. »

 

(extrait d’une chanson rom)

 

 

 

J’ai ce tirage depuis longtemps. J’ai photographié Marius en 1991 et je l’ai vu beaucoup de fois en concert, dans son village, chez lui. Je dessine enfin un kilim de Pirot qui met en valeur l’accordéoniste du taraf de Haïdouks.

 

    

Tu disparais et je te continue:

 

 

 

Autant la prise de vue peut être rapide, autant l’image dure dans le temps. Je colorise une rom kalderash et son garçon. La femme et l’enfant peuvent faire penser à Marie et Jésus. Chacun projette ce qu’il veut. Le moment semble calme, apaisé, alors qu’en réalité, je me trouvais dans un campement de roms hyper agités et curieux de ma visite. J’adore coloriser cette photographie. Dans mon état méditatif, je retrouve ces deux personnages, comme lorsque l’on rêve de quelqu’un. Je n’ai pas d’histoire à raconter. Tout est là avec cette femme qui supporte la force du soleil, l’ombre de son abri, le t-shirt de l’homme araignée. Le moment présent tellement important et naturel chez les roms.

 

Les pieds dans la boue et de l’or dans les cheveux

 

    

Tombée du ciel :

 

 

 

Comme par enchantement. Comme le morceau de couverture trouvé par terre. Comme mes rencontres tellement agréables avec Maria Ivancuk et son mari Andrei (Sur l’affiche). La simplicité. Le reste figure sur l’œuvre.

 

Aujourd’hui ils y sont, au ciel.

 

 

Le temps est venu de chercher le bonheur en nous :

 

 

 

Phrase extraite d’un poème de Rajko Djuric. En ces temps de deuxième confinement, la tristesse finit par nous rejoindre. J’ai beau me dire que j’ai la chance de pouvoir restée seule dans mon atelier et ne pas m’ennuyer, la vie sociale et les embrassades me manquent. Cet instant peut être vécu comme une remise en question. Difficile de ne pas se sentir vide. Cette phrase correspond au moment. Je me sens assez minable lorsque je ne trouve pas ma force intérieure.

 

 

 

Les fleurs du vieux papier peint. Élément décoratif qui a pris tellement d’importance dans la décoration que j’ai imaginé ces dernières années sur les chantiers.

 

 

 

Marina Obradovic

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Ne jetez plus vos vieux, on vous les rachète ! » est un proverbe rom.

 

Je propose un ensemble d’une vingtaine de photographies en noir et blanc réalisées ces dernières années, en Italie, Roumanie, Serbie et Hongrie. La majorité de ces photographies ont été réinterprétées, brodées, transformées ou mises en couleur par des artistes peintres français, une belge, un italien, une chilienne, un roumain ou moi-même…

 

Derrière cet ensemble, il y a l’idée de partage : les images ne m’appartiennent plus et commencent une nouvelle histoire à travers l’interprétation des artistes.

 

 

 

Une expo ShukArt United: une quarantaine de mes photos repeintes par:

Geertje Vangenechten                                          www.tattoodinterieur.be/

Sophie Pouget

Catherine Fayard                                         http://www.catherine-fayard.fr/

Daniela Montecinos                             danielamontecinos.blogspot.com/

Marco Bailone                                                                    www.bailone.it/

Isabelle Langlois

Sarah Fistol                                                   www.lamusedejaracasse.fr/

Silvia Guerra

 

Photographie rebrodées par Isabelle Zaza Thiercelin (collection particulière)

Photographie repeinte par Sophie Pouget (Collection particulière)

A propos de Marina Obradovic

 

D'origine Yougoslave et née en France, elle voyage depuis toujours et encore.

Ses études aux beaux-arts de Paris, en photographie et en peinture lui ouvrent la voie dans les deux domaines.

Photographe de plateau, assistante à la réalisation, elle devient restauratrice de peinture murale, puis peintre et décoratrice.

Tout en poursuivant sa carrière éclectique, elle imagine et réalise, entre autre, les décors de la célèbre marque de bière artisanale italienne "Birra Baladin".